La vie à Ecouen, une vie de château ?
La vie à Ecouen, une vie de château ?
J'adore notre vieil Ecouen tout plein de souvenirs. J'aime à penser que ses murs antiques ont abrité des ombres glorieuses […] Vraiment l'Empereur a eu une bonne idée de nous attribuer cet agréable séjour, au lieu de quelques banales bâtisses neuves avec des toits de tuiles rouges et d'affreux murs blanchis à la chaux...
Journal intime d’Eugénie Servant (24 février 1881, 5ᵉ cahier, p. 106-107)
Nous manquons de sources pour évaluer le quotidien des demoiselles de leur point de vue, surtout pour le XIXᵉ siècle. Cependant, à l’aide de témoignages écrits et oraux, plus récents, il est possible de se construire une idée de la vie des pensionnaires derrière le règlement sévère, les programmes scolaires et l’imaginaire collectif.
Un cadre magnifique
Le château surplombe un grand domaine. Eugénie Servant, élève à Écouen de 1875 à 1881, livre de nombreuses descriptions du château et de son parc dans le journal intime qu'elle tient durant son séjour.
Lors de la récréation, nous allions dans les « bergeries » et même dans le bois, près de la fameuse fontaine Hortense. Nous jouions au ballon prisonnier, et comme l’a rappelé une de mes amies de province, à qui j’ai téléphoné récemment, au diabolo. Grâce à tous ces entraînements pendant les récréations, j’étais devenue experte et cela pendant des années, après la Légion d’honneur ! Et comme mes trois amies que vous avez rencontrées au début du mois de février, elle garde aussi le souvenir de cette liberté dans l’espace immense de ce parc.
Témoignage écrit d'une ancienne élève d'Ecouen recueilli en 2024
Lieu de conservation : maison d'éducation de Saint-Denis
Les inconvénients de la vie au château
L'hygiène
Les soins de propreté et de tenue étaient très multipliés. Toutes les semaines, les élèves prenaient des bains de pied, et l’été, des bains entiers […]
Louis Bonneville de Marsangy, d’après Madame la générale Durand.
Les témoignages d’anciennes élèves de la maison d’éducation d’Ecouen laissent entendre une appréciation bien différente des soins d’hygiène.
Témoignages d'anciennes élèves enregistrés le 7 février 2024
Plus généralement, une ancienne élève note les différences entre les trois Maisons d’éducation concernant les aménagements :
Témoignage enregistré le 3 mars 2023
Des jeunes filles isolées de leur famille
Témoignage enregistré le 7 février 2024
Les souvenirs rapportés par Eugénie Servant dans son journal intime appuient ce propos. Ainsi, à son arrivée, Eugénie, dont la famille habite en Algérie, a du mal à s’adapter si loin de ses proches :
C’était bien triste pour moi de voir s’en aller ainsi toute ma famille. Je demeurais tout isolée, et mes pensées prirent un cours mélancolique ainsi qu’aurait pu en témoigner un mystérieux calepin, confident discret de mes réflexions, qui s’enrichit à ce moment de bon nombre de pages.
Journal intime d’Eugénie Servant (Hiver 1879, 2ᵉ cahier, p. 31)
Certaines élèves sentent un fossé se creuser avec leurs proches avec qui elles ont parfois des difficultés à partager les réalités de la vie à Ecouen.
Témoignage enregistré le 7 février 2024
Une existence contrôlée
Des règles strictes
Le règlement !… Toujours le règlement… Mot magique qui courbait toutes les têtes. Comme je le détestais cet insupportable règlement !
Journal intime d’Eugénie Servant (1ᵉʳ cahier, p. 11-12)
Les élèves peuvent avoir du mal à se conformer au règlement très strict du pensionnat. Nous retrouvons dans les dossiers d’élèves des cas de punitions, redoublements, et même de rares renvois pour insubordination ou mauvaise conduite.
J'avais fini par obéir au règlement, non plus seulement par manque de gaîté et par conséquent sans mérite, mais parce que je ne le trouvais plus du tout détestable. A présent, j'étais contente de mon sort…
Journal intime d’Eugénie Servant (1ᵉʳ cahier, p. 58)
Il n’en reste pas moins qu’Eugénie s’affirme parfois par de petites désobéissances, ainsi est-elle envoyée dans un autre dortoir pour avoir essayé de passer une nuit blanche. Elle se trouve alors, au milieu des petites du dortoir, éloignée des élèves de sa classe.
Les notes de conduite et les notes d'ordre
Témoignage enregistré le 7 février 2024
A l’issue de ce rapport de l’intendante, les élèves pouvaient obtenir différentes médailles : la médaille d’ordre, la médaille d’étude, décernée pour la qualité du travail scolaire, et la médaille de conduite, pour un comportement exemplaire. Le summum était d'obtenir ces deux dernières.
Les sanctions
L’une des punitions les plus sévères était la « dégradation », le port d’une ceinture grise qui ne rattache la jeune fille punie à aucune classe, l’identifiant comme fautive et la privant, le temps du châtiment, de son groupe d’amies.
Cette mise à l’écart du groupe se retrouve aussi dans la correction, moins grave, consistant à envoyer des élèves dans une classe inférieure pour quelques jours, les élèves de classes différentes n’étant pas autorisées à interagir.
Témoignage enregistré le 3 mars 2023
La vie quotidienne au château
L'intimité
Peu de place est laissée à l’espace personnel. Les jeunes filles sont constamment en groupe, la journée ou la nuit dans les dortoirs. Au XIXᵉ siècle, le développement personnel n’est pas non plus encouragé : l’écriture d’un journal intime est par exemple assez mal tolérée. Celui d’Eugénie lui est confisqué à plusieurs reprises.
Les visites de personnes extérieures à la Maison sont limitées, exceptionnelles et surveillées. La correspondance, moyen d’expression personnelle et précieux échappatoire, est contrôlée :
Les liens d’amitié
Les jeunes filles développent des amitiés fortes.
La meilleure amie d’Eugénie s’appelle Virginie Meunier. Elles s’inventent leur propre devise (« plaisir et gaîté »), font les quatre cents coups, s’écrivent de nombreux petits mots et lettres… Eugénie se lie d’amitié avec d’autres filles de sa classe à travers leur goût commun pour la lecture. Ces amies lui rapportent de leurs vacances des livres proscrits qu’elle lit en cachette, comme Phèdre de Racine. Tout en restant relativement sage, le groupe d’amies s’affirme, s’amuse de ses désobéissances, et se surnomme même « le clan des dissipées ».
Les élèves s’attachent de même à leurs professeures. Celles-ci sont des figures d’autorité intellectuelle et morale, mais aussi apportent du réconfort quand elles sont douces avec les élèves.
Témoignage enregistré le 7 février 2024
Les divertissements
L’art et l’écriture peuvent être un mode d’expression personnelle pour les jeunes filles. La vie des pensionnaires est animée par des pièces de théâtre, récitation de poésie, fêtes scolaires ou religieuses…
La salle d'honneur est le lieu privilégié pour un grand nombre de ces festivités. Cette salle est ornée d’une cheminée monumentale en marbre et d’une frise peinte, seuls vestiges du décor original du château dans cette pièce. Dans la partie centrale de la cheminée, une allégorie de la victoire tient l’épée du connétable de Montmorency.
L'exemple des festivités du 7 juillet 1929
Maison d'éducation de Saint-Denis
Lieu de conservation : maison d'éducation de Saint-Denis
Lieu de conservation : maison d'éducation de Saint-Denis
Des jeunes filles en uniforme
Les ceintures de couleur et les classes
Héritage des ceintures de différentes couleurs de la Maison de Saint-Cyr puis de l'institution de Saint-Germain-en-Laye fondée par Madame Campan après la Terreur, la ceinture colorée que chacune des élèves porte à la taille identifie son niveau de classe au sein de la maison d’éducation.
Témoignage enregistré le 7 février 2024
A l'origine, les élèves passent un examen d'entrée et sont réparties en fonction de leurs résultats dans les différentes classes. Il y a sept classes : verte, violette, aurore, bleue, nacarat, blanche et multicolore. En classe verte, certaines petites filles sont presque illettrées tandis que la classe multicolore est une classe de perfectionnement où des élèves plus âgées peuvent préparer les concours de l’enseignement. Ces classes sont elles-mêmes divisées en deux niveaux, aux ceintures unies ou bordées d'un liseré. A la fin de l’année, les élèves passent un autre examen pour progresser dans la classe supérieure.
Les années suivantes, la répartition se fait par classe d'âge.
La vie de classe est renforcée par la pratique du « choutage » : l’interdiction de se parler entre élèves de classes différentes, repérables à leur couleur.
Témoignage enregistré le 7 février 2024
L'uniforme au cours du temps selon Mademoiselle Bourcier de Carbon
Dessins de Mademoiselle Bourcier de Carbon représentant des jeunes filles en uniforme scolaire à différentes époques, aquarelles,
lieu de conservation : maison d'éducation de Saint-Denis
Une anecdote sur l'uniforme
En fait elles [les poches] ne faisaient pas partie de la robe, elles étaient indépendantes et pour y accéder il fallait soulever la robe ! Ce geste était familier pour nous élèves mais lorsque j’avais une visite au parloir, les visiteurs étaient surpris. C’était un autre monde !
Témoignage écrit d'une ancienne élève