Les multiples vies du château d'Ecouen

De la maison d’éducation de la Légion d’honneur au musée de la Renaissance : les multiples vies du château d’Ecouen.

On aime voir défiler les filles de nos braves sur ces ponts où François Iᵉʳ passait il y a trois siècles

Madame Campan à la reine Hortense.

Nous sommes en 1807 : le château d’Ecouen, chef-d’œuvre de la Renaissance, ouvre ses portes à trois cents jeunes filles. Elles sont placées sous la responsabilité de Madame Campan, directrice de la première maison d’éducation de la Légion d'honneur. A l’écart du tumulte de Paris, le château d’Ecouen offre un refuge propice à l’apprentissage et à l’amitié. 

Le château d’Ecouen, de sa construction à la Révolution française

Un château de la Renaissance

Gravure de l'ancienne entrée du château d'Ecouen et fragments de sa démolition
Gravure de l'ancienne entrée du château d'Ecouen et fragments de sa démolition

Musée de la Légion d'honneur

Entrer au château d’Ecouen, c’est découvrir un témoignage architectural de notre histoire. Construit sous François Iᵉʳ par le connétable Anne de Montmorency, l’édifice démontre une connaissance de l’art italien et la volonté de se positionner comme mécène érudit. De nombreux artistes de la Renaissance viennent orner le château de tapisseries, de sculptures et de vitraux qui ravirent, un peu plus tard, le roi Henri II qui en fait un lieu de villégiature. Le dernier des Montmorency meurt en 1632 et le château est par la suite transmis à la famille de Condé.

Les Condé font détruire l’aile d’entrée en 1787, faisant disparaitre fresques, sculptures et carrelages qui y étaient attachés. Elle comprenait notamment un portail monumental à trois niveaux et abritait en son centre une statue équestre du Connétable. Nous conservons néanmoins des gravures de ce passé architectural. La révolution empêche les Condé de poser une grille monumentale et en 1807 l’architecte Peyre fait donc ériger l’entrée actuelle.

Le tumulte de la Révolution française

Le château d’Ecouen est confisqué lors de la Révolution et vidé de ses richesses artistiques. Vitraux, boiseries, œuvres d’art sont transférés au musée des Petits-Augustins créé par Alexandre Lenoir et au Musée central. Directeur du musée de la Renaissance de son inauguration en 1977 à 1985, Alain Erlande-Brandebourg écrit : 

« En 1793, l’inventaire des biens meubles fut fait et les objets transportés à Versailles, vendus aux enchères ou fondus. Le château promis à la destruction fut sauvé par l’intervention, à la Convention, de l’abbé Grégoire. Il servit à divers usages : lieu de réunion à un club patriotique, prison militaire, hôpital » ; fonctions permises par ses larges volumes.

Napoléon, désireux de donner à cet espace un sens nouveau, en fait la première maison d’éducation pour les filles des membres de la Légion d’honneur. La décision est prise par un décret de 1806. La maison d'éducation d'Ecouen, appelée alors maison impériale Napoléon, ouvre ses portes courant 1807.

La maison impériale Napoléon

Le réaménagement du château

Plan du deuxième étage du château, 1851
Plan du deuxième étage du château, 1851

Musée de la Légion d'honneur 

Afin d’accueillir jusqu’à trois cents jeunes filles, le château doit subir d’importants réaménagements confiés à l’architecte Antoine Peyre. Les murs de plusieurs salles sont abattus et certaines fresques aux sujets légers disparaissent, pour ne pas heurter la pudeur des élèves. La lingerie remplace la bibliothèque et le premier étage accueille les dortoirs. Dans la cour, les carreaux aux armes du connétable de Montmorency sont retirés et remplacés par des carreaux à l’initiale de Napoléon.

Puis, de nouveaux aménagements voient le jour à mesure de la vie de la maison : écurie, bâtiment pour les pompiers, fosses d’aisances, fontaine Hortense.

Les contours d’un nouveau système éducatif

Il ne faut point organiser ici une petite pension. Les parents ne doivent pas pouvoir envoyer un sol à leurs demoiselles, la plus stricte égalité doit régner entre elles.

Napoléon au grand chancelier Lacépède, Fontainebleau, 22 octobre 1807

En plus des ajustements fonctionnels, c’est tout un système éducatif qui doit être mis en place. Dans une lettre du 5 mai 1807 dictée par Napoléon au château de Finkenstein, en Pologne, celui-ci transmet ses instructions au grand chancelier Lacépède. L’objectif est de permettre à des jeunes filles de tous milieux, notamment modestes, d’accéder aux enseignements dispensés par la Maison et de les rendre capables de tenir leur foyer.

Napoléon désigne Hortense de Beauharnais protectrice de la maison. Le grand Chancelier apporte de nombreuses suggestions à son projet. Soucieux de perfectionner le système mis en place à Ecouen, il nomme Madame Campan première directrice. Elle doit veiller à la concrétisation et à l’application des premières instructions.

Le rôle de Madame Campan

Portrait de Madame Campan et sa protégée Pholoé, 1807. Marie-Éléonore Godefroid
Portrait de Madame Campan et sa protégée Pholoé, 1807. Marie-Éléonore Godefroid

Musée de la Légion d'honneur

Madame Campan (1752-1822) née Jeanne Louise Henriette Genet, a commencé sa carrière sous l'Ancien régime. Lectrice des filles de Louis XV, puis femme de chambre de Marie-Antoinette, elle échappe à la Terreur. En 1764, elle fonde un pensionnat de jeunes filles à Saint-Germain-en-Laye, l’« Institution nationale de Saint-Germain » qui vient combler le vide laissé par la disparition des congrégations religieuses. 

Elle y met en place des règles éducatives originales inspirées par la Maison royale de Saint-Cyr, son expérience et ses lectures, en particulier de la littérature anglo-saxonne. Elle crée quatre classes distinguées par des couleurs de ceinture, verte pour les petites, aurore pour les moyennes, bleue pour les grandes, nacarat (rouge tirant sur le rose) pour les adolescentes. Des élèves comme Hortense et Emilie de Beauharnais, Caroline et Pauline Bonaparte, Charlotte Christine, fille de Lucien, la fréquentent mais aussi les filles du général MacDonald, Caroline Turgot, nièce du ministre de Louis XVI, Eliza Monroe, fille de l’ambassadeur des Etats-Unis en France, ou encore les filles de Jean-Baptiste Isabey, Alexandrine et Louise-Simone parfois nommée Lucy.

Les jeunes filles y suivent un programme d’enseignement varié, mêlant l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et des mathématiques, à celui de l’histoire, des arts, musique, peinture, celui des « ouvrages de dames » et de la gestion ménagère. Tout vise à faire de ces jeunes filles des femmes indépendantes, vertueuses et capables de travailler.

Progressivement Henriette Campan devient non seulement la directrice d’un établissement reconnu mais il lui arrive aussi de conseiller Bonaparte, alors Premier consul, sur les questions de protocole et de gestion d’une maison. Lors du sacre de l’Empereur, cinq anciennes élèves et deux de ses pensionnaires occupent une place d’honneur pendant la cérémonie.

Première directrice de la maison d’éducation d’Ecouen

Une nourriture saine, abondante, régulière, une excellente chaussure, des vêtements chauds en hiver, les bras couverts, de l’exercice, de la gaité dans les récréations, une sévérité égale, mais douce, peu de drogues, mais beaucoup de soins de propreté, des bains tous les dix ou douze jours, voilà les vrais moyens d’entretenir la santé du corps et le contentement de l’esprit, qui y contribue pour beaucoup .

telle est la vision de Madame Campan d’un quotidien équilibré.

Napoléon se tourne donc naturellement vers Madame Campan pour diriger la première maison d’éducation de la Légion d’honneur. Elle est désignée directrice de la maison impériale d’Ecouen par décret en 1807.

Madame Campan n’hésite pas à apporter des modifications au projet de Napoléon. Pour les repas, elle garantit la santé des jeunes filles, dont le quotidien est rythmé par les repas sains mais nourrissants : rôti, riz au lait et beaucoup de fruits et légumes. Contre l’avis de l’Empereur, elle fait enseigner les langues étrangères et instaure un système de récompenses et de punitions pour encourager l’émulation. 

Musée de la Légion d'honneur

L’existence tumultueuse de la maison d’éducation d’Ecouen

Fermeture de la première maison d’éducation de la Légion d’honneur

En 1814, les Bourbons reviennent au pouvoir. Le prince de Condé reprend possession du château par une ordonnance du 24 mars 1814. Les pensionnaires sont relogées à Saint-Denis. 

Par testament, Louis-Joseph de Bourbon, dernier membre de la famille Condé, décédé en 1830, institue son petit-neveu, le duc d’Aumale, légataire universel. Son testament prévoit d’affecter le château d’Ecouen à un établissement de bienfaisance mais le conseil d’Etat déclare impossible cette disposition. 

Le château est à l’abandon. La grande chancellerie de la Légion d’honneur revendique sa propriété et en redevient propriétaire en 1838.

Il faut toutefois attendre le 22 juillet 1850 pour qu’une loi décrète la fermeture de la maison d’éducation de la rue Barbette et le transfert des jeunes filles et du personnel au château d’Ecouen. Cela sera fait l’année suivante.

Musée de la Légion d'honneur

La renaissance de l'établissement grâce à la congrégation de la Mère de Dieu (1851 à 1881)

A partir de mai 1851 la maison d’Ecouen est dirigée par les religieuses de la congrégation de la Mère de Dieu.

En 1648 est créé un orphelinat pour jeunes filles, l’orphelinat de la Mère de Dieu. La Révolution le supprime en 1797. Mère Marguerite de Lézeau entreprend de faire renaître l’orphelinat de la Mère de Dieu et refonde sa congrégation. Lorsque Napoléon décide de créer des maisons pour l’éducation des orphelines, il confie cette mission à Madame de Lézeau et à la Congrégation de la Mère de Dieu. La décision est formalisée par décret impérial en date du 15 juillet 1810.

La vie au château évolue au rythme des réformes : en 1881, la laïcisation de l’enseignement public entraîne la remise des succursales d’Ecouen et des Loges aux dames de la Légion d’honneur. En 1890, chacune des maisons d’éducation dispensent des enseignements distincts. Ecouen préparait alors les jeunes filles au commerce et à l’enseignement. Puis, en 1920, le programme des maisons d’éducation reprend celui des lycées. Les élèves commencent leur scolarité par 3 années à Ecouen ou aux Loges, et terminent leur parcours à St-Denis.

Portrait de Soeur Théodose
Portrait de Soeur Théodose

Maison d'éducation de Saint-Denis

Tumultes du XXe siècle et fermeture de l'école

Les grands événements historiques influent sur le parcours des élèves.

Evacué en 1870, le château sert d’hôpital pour les soldats allemands soignés par le personnel et les religieuses. Quartier général pendant la guerre de 1914-1918, les élèves restent néanmoins sur place (la rentrée est différée en 1915 et elles sont évacuées en 1918 face au nombre important de blessés). Enfin, les troupes allemandes prennent logement dans le château en 1939 mais les pensionnaires peuvent revenir dès le printemps 1941.

Le château est inadapté à la vie d’un pensionnat et représente une charge importante pour l’ordre de la Légion d’honneur. Sur les ordres du général de Gaulle et du général Catroux, grand Chancelier, la maison d’éducation d’Ecouen ferme ses portes en 1962. Les élèves sont réparties dans les maisons d’éducation des Loges à Saint-Germain-en-Laye et de Saint-Denis.

Le château est confié au ministère des Affaires culturelles et mis à disposition par un bail emphytéotique. Les travaux de remise en état sont néanmoins importants et s’il abrite le musée national de la Renaissance depuis 1977, ce n’est qu’en 1985 que les dernières salles ouvrent au public.

Organisation de la rentrée scolaire de 1939
Organisation de la rentrée scolaire de 1939
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